February 4, 2012

Interview de Marie Lechner pour Libération - Janvier 2012


ML: Pourquoi as tu eu envie de ressusciter cette vieille technologie qu'est l'ambrotype?

EA: Dans mon travail photographique j'ai sans cesse fouillé dans les techniques anciennes pour illustrer des articles de manière différente. C'est assez contradictoire, prendre du vieux pour faire du neuf, pourtant c'est ce qui se passe dans beaucoup de domaines. J'ai toujours été passionné de developpements et tirages que ce soit en noir et blanc ou en couleur et j'ai toujours eu cette fascination pour les vieilles photos, les vieux portraits du début du 20 eme siecle, mais aussi le caractère aléatoire et surprenant du matériel et des techniques anciennes. Je suis passé par pas mal de prcédés alternatifs et, petit à petit, je me suis rendu compte que revenir aux toutes premières techniques photographiques était ce qui me satisferait le plus.

Sur les bourses photos et lors de voyages aux états unis j'ai vu beaucoup d"union case", ces petites boites en cuir et métal précieux (ou non) qui renfermaient un ou 2 ferrotypes, daguerreotypes ou ambrotypes et celles-ci m'ont fasciné. Je me suis rendu compte que les ambrotypes étaient proche de ce que je cherchais à obtenir dans mes dernieres series de tirages noir et blanc, je virais mes photos, les marges bavaient de plus en plus, imitant malgré moi les défauts magnifiques des photos sur ambrotypes. c'est comme ça que je suis arrivé à la technique des ambrotypes au collodion humide. Si le Daguerreotype est plus ancien, ce procedé comporte beaucoup d'inconvénients et sa complexité repousse, la technique du collodion humide inventée par Frédérick Scott Archer (1813-1857) quelques années plus tard a révolutionné la photographie. Sans rentrer dans les détails, elle se pratique grâce à des plaques de verre (ambrotype) ou de métal (ferrotype), que l'on rend sensible par l'application de nitrate de cellulose dissous dans de l'alcool et de l'éther (collodion) , puis de nitrate d'argent et enfin de sulfate de fer afin d'obtenir une surface qui réagit (à peu pret) à la lumiere comme les photos argentiques noir et blanc qui arriveront plus tard dans l'histoire de la photographie.
Le collodion humide a été très utilisé aux états unis à l'époque de la guerre de secession et fait profondement partie de l'histoire des Etats Unis. Elle est toujours utilisée de manière traditionnelle par un groupe de photographes présent sur les reconstitutions de scènes de guerre, mais aussi par quelques artistes Americains comme, pour la plus connue, Sally Mann. En Europe cette pratique est très marginale et on compte environ 20 véritables spécialistes et utilisateur réguliers de cette technique. 
Il y a quelques années, j'ai trouvé un parisien qui enseignait cette technique, je suis allé faire un stage chez lui et puis j'ai experimenté chez moi pendant un bon moment avant de maitriser et developper le procédé plus profondément. Aujourd'hui, avec "les ambrotypistes associés" j'enseigne a mon tour le collodion humide aux plus curieux.

ML: Dans ta série rétroduction tu appliques cette technique désuètes à la photographie de skate , pratique on ne peut plus contemporaine, créant un étrange anachronisme, Pourquoi ce choix? 
EA: La série Rétroduction est effectivement un peu à part pour 2 raisons:
Il ne s'agit pas de prise de vue directes sur du collodion,au risque de fâcher les vrais puristes de ce domaine hautement respectueux du passé. En effet, cette technique ne permettant pas de descendre dans des temps de poses courts, les prises de vue ont été faite en argentique moyen format puis tirées sur du verre en utilisant la technique du collodion humide.

La seconde raison vient de la volonté de ne pas utiliser cette technique uniquement pour reproduire ce qu'on voit sur les photos anciennes, même si c'est tentant et que ce procédé pousse à cette utilisation. Si je fais habituellement du portraits, des natures mortes et des nus classiques avec une chambre photographique du 19 eme siecle, j'ai voulu avec cette série créé un anachronisme et appliquer une esthétique résolument ancienne a une pratique moderne. Il s'agissait d'une exposition sur le skateboard à la Gaieté Lyrique donc j'ai proposé une série de 15 photos de skateboard sur ambrotypes. Dans la même logique je prépare actuellement une série de prise de vue "a l'ancienne" en supermarché et grande surfaces modernes pour une future série.

ML: Est ce une réaction contre la photographie numérique? qu'est ce qui te dérange ou te déplait dans le numérique? L'utilises tu néanmoins dans ton travail?

EA: Ce n'est pas forcement une réaction contre la photographie numérique dans le sens ou je ne l'ai pas forcément prémédité, j'ai juste suivi un gout personnel et pas forcement dans une démarche précise à la base. Si je pratique principalement l'argentique dans different formats, selon les besoins,  j'utilise aussi la photographie numerique pour certaines commandes et aussi pour mes "photos jetables" privées prises avec un téléphone. Je reproche au numerique, comme à tout élément de la consommation moderne, de proposer la surconsommation. On prend actuellement trop de photos. et la surabondance mène à l'oubli, on se sent perdu face à un disque dur rempli d'image et peu d'entre nous imprime encore leurs photos. J'aime l'idée d'avoir seulement quelques photos importantes qui ponctuent notre vie, mais, comme les soirées diapos de mon enfance, les rangements et consultations d'albums photo disparaissent.
Trop d'images tue l'image.
J'aime aussi le coté imprévu de la photographie argentique, plus on repart en arrière dans les techniques photographiques, plus les images sont remplis de ces imperfections qui font leur charme, des petits défaut qui nous surprennent a chaque developpement, c'est aussi cela que je recherche avec la photographie ancienne. Ca et le coté organique des objets, un ambrotypes se compose d'une couche d'argent qui brille sur un verre de 2mm donnant ainsi toute sa profondeur à la photo, c'est un positif géant que l'on peut tenir dans ses mains et regarder en détail pendant un bon moment, il est fragile, sensible et résolument organique. Que dire d'un écran d'ordinateur ou les photos circulent à un rythme infernal souvent en petite taille.

ML: Qualifierais tu pour autant ton oeuvre de nostalgique?

EA: Je suis résolument nostalgique, je regrette une période où on consommait moins d'images, une époque ou on gardait une photographie en tête plus que 5 minutes. Je regrette la photo objet. Par contre ce n'est pas par nostalgie que je suis arrivé aux ambrotypes je pense, c'est aussi une question de qualité et c'est, je pense,un aboutissement pour tout photographe, aller vers un plus grand format (des negatifs de plus de 25cm), un grain plus fin (le collodion humide est un equivalent de 1 iso), et aussi la passion pour la technique est a son comble puisqu'elle comporte de la chimie, une recherche de materiel centenaire souvent a restaurer. Voila la phrase qui va effrayer tout le monde, il faut "prendre le temps"... prendre son temps est une notion nostalgique dans un monde aussi rapide ou tout est éphemere.


ML: On constate aussi une sorte de nostalgie bizarre dans la photorgaphie numérique, cf le succès des applications pour Iphone, hipstamatic ou instagram, comment tu analyses cette tendance?

EA: Je vois beaucoup d'analyses possibles.
La photographie numérique utilisée de manière brute permet de créer une image ultra nette, retranscrire les couleurs parfaitement avec très peu de bruit; cette ultra netteté, ce manque de hasardeuses surprises sont ennuyeuses. Alors pour retrouver un peu de ce hasard des applications salissent un peu les images, rendre les couleurs plus aléatoires, redonne un peu de poésie à la photographie numérique qui en est, selon moi, dénuée. Une fois retouchée (instantanément dans un programme ou en post production) l'image numérique peut aspirer à toutes les utilisations et se transformer a volonté. C'est ce qui attire beaucoup de ses plus fervants utilisateurs. Le résultat est souvent un retour vers les photographies anciennes, plus poétique, moins crues, moins parfaites. 

 "quelle application tu utilises pour ça?" voilà la question que je reçois le plus souvent sur les réseaux sociaux ou je poste des photos, c'est triste. La photographie et son histoire est résumé à un clic au choix. Ca déprécie le travail de photographe dans mon genre, le pire c'est de s'entendre dire que ce qu'on fait ne sert a rien, que ça peut être aussi bien fait sur photoshop ou avec une application quelconque et que, de toute manière personne ne voit la différence, récemment, un photographe de mode professionnel assez âgé m'a donné cette argumentation. j'étais surpris puis déçu puis écoeuré. Une fois de plus, tout dépend ce qu'on fait des images. Une image prise avec "Instamatic" peut facilement être imprimée en 8cm par 8cm et constituer un joli petit objet (qui durera 5 ans a peine vu la qualité des impressions personnelles actuelles). Je compare cet engouement pour les photos anciennes a celui pour le vêtement vintage (ancien=cool). 
Ce qui est interessant c'est que certaines des nouveaux utilisateurs d'appareils photo numériques très abordables, découvrent et apprennent facilement et la magie de la photographie les accrochent ainsi, ils se mettent alors à l'argentique par curiosité ou alors par frime, peu importe, le résultat est là, les labos traditionnels remontent la pente, ou aumoins survivent, le marche de l'argentique d'occasion se porte assez bien, et avec un peu de chance les films ne disparaitront pas tous. (si jamais tout ceci disparait, voici un autre avantage des ambrotypes, une pharmacie et un vendeur de verre suffisent)

ML: Qu'est ce que les photos (du) passées, ont de plus que les images numériques?

EA: Je suis toujours curieux que cette question se pose encore, regardez un film en 35 mm par rapport à une production 100% numérique, un autochrome des frères lumière par rapport à une photo couleur sur "Instagram". Il y a une qualité, une sensibilité, une finition, une authenticité qui saute aux yeux, on ne comparera pas une poterie ancienne par rapport à un vase IKEA. Les photographies du passé ont plus de valeur parce qu'elles étaient plus rare, plus significatives, elle durent aussi plus longtemps et nous survivent. 
Chaque photographie a son utilisation et le numérique est un excellent outil qui rend la vie de bien des corps de metier plus facile, elle permette a tous de photographier tout et à tout moment, mais il faut au moins reconnaître la supériorité esthétique du travail ancien. Le manque de temps emporte ces belles et laborieuses techniques, il est bon de leur rendre hommage de temps à autre.

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